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jeudi 31 mars 2016

L'Usage du Monde

Sur l'une de mes étagères, je me souviens qu'il y a ce livre, dans une superbe édition, un cadeau que l'on m'a offert il y a très longtemps, le livre de Nicolas Bouvier, "L'Usage du Monde".



Quand je repense à ce qui m'a attirée vers l'Iran depuis si longtemps (en plus de la fameuse frise des archers du Musée du Louvre...) il y a ce livre.

Je travaillais alors pour France Culture sur une émission régulière produite par un animateur qui, quand j'étais adolescente, m'avait beaucoup marquée : Jean Thévenot. Il animait dans les années 1960 une émission dont le titre était "Le Grand Voyage" que je regardais avec passion. Jusqu'à ce qu'un jour on me dise que j'allais travailler avec lui sur une émission... de radio "Les Chasseurs de son". J'ai passé plusieurs années sur cette émission.

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C'était fin des années 70, j'étais déjà une voyageuse, et il m'a offert ce livre. J'avais été en Afghanistan en 1976, au Yemen en 1977, l'Iran semblait naturellement être ma procaine destination...


Le hasard fait aussi que Persepolis ait été visitée entre 1664 et 1667 par un homonyme "Jean de Thévenot" quit note à l'époque, dans son ouvrage "Voyage au Levant" que "ces ruines sont trop petites pour être la demeure des rois de l’ancienne Perse".
 


L’Usage du monde, c'est un livre écrit par Nicolas Bouvier (Genève, 1929-1998), avec des illustrations de Thierry Vernet, paru en 1963, à la Librairie Droz. Un livre culte.

Un récit du voyage effectué par les deux amis de la Yougoslavie à l'Afghanistan, entre juin 1953 et décembre 1954.  Nicolas Bouvier a 24 ans quand il part.



La route, effectuée en Fiat Topolino, les mène de Belgrade jusqu'à la Turquie, l'Iran (où ils passent l'hiver 1953-1954 à Tabriz), le Pakistan (dont une longue halte à Quetta), et l'Afghanistan. Ils se séparent à Kaboul, le récit de Nicolas Bouvier continuant jusqu'à la passe de Khyber. 

Pour gagner le peu d'argent nécessaire au fil du voyage, Thierry Vernet vend des peintures et Nicolas Bouvier écrit des articles pour des journaux suisses ou autres, fait des conférences, donne des cours de français.    (Wikipedia)

Aujourd'hui on appelle ces auteurs "Les écrivains voyageurs". Il existe même un festival international du livre et du film depuis de nombreuses années à Saint-Malo, "Étonnants voyageurs". Et où je me suis rendue une fois pour le travail.

Aujourd'hui les voyageurs écrivent leurs récit de voyages dans des blogs, comme je le fais.

Nicolas Bouvier a passé de longs mois en Iran, auquel il consacre une grande partie de son livre.

"Le peuple d’Iran est le plus poète du monde, et les mendiants de Tabriz savent par centaines les vers de Hâfiz " dit-il.

Il avait fait inscrire ces vers du grand poète sur la portière de sa Fiat : "Même si l’abri de ta nuit est peu sûr... Et ton but encore lointain... Sache qu’il n’existe pas... De chemin sans terme... Ne sois pas triste.".

Voilà quel fut son parcours




Voilà le début du chemin que je vais suivre, selon ce que Nicolas Bouvier écrivait en Juillet 1954.

De Teheran à Qum 

"La route est asphaltée mais crevée de nids-de-poules profonds comme mon bras. A partir de Qum elle est en terre battue. et si tôlée qu'il nous faut rouler en dessous de 25.../... Vers cinq heures, le soleil rougit et comme si on passait le torchon sur une vitre embuée, on voit alors surgir avec une netteté prodigieuse, ce plateau désert à travers lequel l'ange a, paraît-il, conduit Tobie par la main. Il est jaunâtre, semé de touffes pâles. des montagnes couleur aubergine l'entourent de dentelures insolites. Montagnes distinguées."

Ispahan

"Isfahan c'est exactement l'émerveillement qu'on nous en promettait. Elle vaut à elle seule le voyage. ../... Dans la trouée des saules et des eucalyptus, on distinguait déjà la blancheur du désert et les montagnes mauves du Zagros, d'une découpure très provençale. Et dans la nature, exactement cette même intimité molle et dangereuse qu'on trouve parfois, les nuits d'été aux abords d'Arles ou d'Avignon.

Mais une Provence sans vin, ni vantardises ni voix de femmes ; en somme, sans ces obstacles ou ce fracas qui d’ordinaire nous isole de la mort. Je ne m’étais pas plutôt dit cela que j’ai commencé à la sentir partout, la mort : les regards qu’on croisait, l’odeur sombre d’un troupeau, les chambres éclairées béant sur la rivière, les hautes colonnes de moustiques. Elle gagnait sur moi à toute allure.

Ce voyage ? Un gâchis… un échec. On voyage, on est libre, on va vers l’Inde… et après ? 
J’avais beau me répéter : Ispahan ; pas d’Ispahan qui tienne.

Cette ville impalpable, ce fleuve qui n’aboutit nulle part étaient d’ailleurs peu propres à vous asseoir dans le sentiment du réel. Tout n’était plus qu’effondrement, refus, absence. A un tournant de la berge, le malaise est devenu si fort qu’il a fallu faire demi-tour. Thierry non plus n’en menait pas large - pris à parti lui aussi. Je ne lui avais pourtant rien dit. Nous sommes rentrés au pas de course." 

Persepolis

"Ce qui reste de la ville royale occupe une terrasse rectangulaire adossée à la montagne et donnant à l'ouest sur la plaine de Marv-Dasht. A l'époque (VIe - Ve a.c.) où le Roi des Rois venait inspecter les travaux, cette plaine était encore couverte de moissons. Puis le système d'irrigation a décliné avec le site, et ce qu'on voit surtout aujourd'hui du haut des ruines c'est de l'aride, du sec, ou le panache poudreux d'un camion, ou encore ces trombes de poussière toutes droites dans le ciel et qui, au début de l'été, se promènent paresseusement par deux ou par quatre entre le mur de soutènement de l'esplanade et les montagnes violettes qui bordent l'occident de la plaine."

Shirâz

Contrairement à Isfahan, Nicolas Bouvier tombe sous le charme de Shirâz et de ses habitants :

"Cette ville exquise et silencieuse qui sent le citron, qui parle le plus beau persan de Perse, où toute la nuit on entend murmurer l’eau courante, et dont le vin est comme un Chablis léger purifié par un long séjour sous terre. Les étoiles filantes pleuvaient sur la cour, mais j’avais beau chercher, je ne trouvais rien à souhaiter sinon ce que j’avais."

Yazd

"A Yezd la plupart des produits arrivent déjà de l'ouest par camion, la vie est chère et les Yezdi qui passent pour les plus grands couards, les meilleurs jardiniers et les plus fins commerçants d'Iran, s'entendent à la rendre encore plus chère. Mais début juillet, la chaleur, la soif et les mouches : on les a pour rien."

Kerman

"Nous n'aurons pas vu Kerman de jour, juste assez pour lui trouver cet air démoli -- comme si Tamerlan venait d'y passer --  que l'implacable lumière de midi donne à toutes les villes de l'est iranien."

"Et la nuit, Kerman devient belle ; son côté brûlant, déchu, brisé, faisait place à la douceur du plus grand ciel du monde, à celle de quelques feuillages, de bruits d'eau, de coupoles qui s'enflent contre le gris lumineux de l'espace."

Bam

"A cinq (heures), les palmeraies et les formidables assises crénelées de Bam s'élevèrent contre la bande verte de l'aube. Les chameaux en file, les premiers troupeaux de chèvres passaient en fumant dans les ruelles profondes. D'énormes murs de terre, des poternes à chicanes protégeaient toutes les maisons. Une sorte d'impérieuse Afrique, avec la dimension supplémentaire que confèrent mille ans d'histoire écrite.

Pendant des siècles, Bam a servi d'avant poste et de citadelle face aux incursions baloutchs et au péril afghan. Elle abritait en permanence un général, une garnison, et lançait parfois vers l'est une expédition punitive, dont le départ s'accompagnait, dit-on, d'un torrent de larmes, tant les soldats craignaient de n'en pas revenir.

Aujourd'hui que le Baloutchistan est tranquille, ces chagrins ont disparu avec le général, et Bam, c'est surtout une mosaïque de jardins entourés de fortes enceintes qui servent de propriétés de plaisance aux arabes de Kerman."

NB : A lire, un article qui analyse le voyage en Iran de Nicolas Bouvier ☞ ICI

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